Capturer l’énergie des foules 

Les images structurantes sont nombreuses à constituer l’expression symbolique des grands mouvements de foule. Il nous appartient probablement en tant que photographes de les débusquer au cœur des manifestations, de trouver notre Gavroche, le drapeau à la main ou ses nombreux avatars, dont la littérature et la peinture ont offert des représentations allégoriques. 

Certes, on peut entraîner le peuple dans les rues grâce à des figures emblématiques, mais la photographie de manifestation ne saurait se définir seulement en une quête d’icônes, mais bien davantage dans une aspiration à saisir l’énergie : cette impulsion capable de nous tirer hors de chez nous pour habiter la rue, battre le pavé et contester les décisions politiques.

La réunion des citoyens, l’expression de leur mécontentement, de leur colère et de leur sens civique, constituent une énergie à la fois sensible et intense. On la perçoit à travers le flottement des drapeaux, les chants, les visages ouverts au monde… Et pour tenter de la saisir pleinement, il faut ralentir le temps, laisser le flou gagner la photo, les couleurs se mélanger et donner à voir non l’essence même de ce soulèvement, mais la source originelle ayant provoqué ce désir de se rendre visible, de réclamer un peu de prise sur cette « chose publique » dont le peuple serait censé détenir le pouvoir.  

Dès lors, du moins si l’on y parvient, un large mouvement se dessine, une trace lumineuse, des couleurs se forment parfois sur l’image, à l’instar d’un coup de pinceau glissé maladroitement sur la toile. L’énergie se propage ainsi, dans la marche en avant de la foule, parfois floue, parfois flottante, elle est présente et constitue une force immense sous le regard d’un autre appareil, l’appareil policier. 

Ils sont là, eux aussi, à l’affût du moindre écart, quand ils ne sont pas en chasse de cette énergie, cet élan capable de précipiter d’autres soulèvements, cette force à même d’inciter les indécis et les plus vulnérables d’entre nous, à se lever, à quitter leur province pour se rendre visibles dans la capitale, à suivre le cortège et sentir sur leurs corps, au milieu de la foule, souffler le vent de la démocratie.  

Il reste une dernière étape aux photographes, une dernière offrande à présenter à travers la diffusion de leurs images. En effet, l’énergie ne se tarit pas après la manifestation, l’onde persiste, se dissémine, ouvre parfois les consciences. Contractant le temps, la photo trace les contours de cette énergie, en laisse vibrer l’intensité et permet à l’instant de demeurer, de laisser le mouvement de la foule s’incarner en désir dans les yeux du spectateur, du follower attaché à son écran.

Cependant, il existe des énergies, des manifestations dont la teneur ne s’inscrit pas dans la même dynamique, dont l’existence ne saurait correspondre à aucune morale, à aucun civisme, à aucune fraternité. Il appartient toutefois aux photographes de témoigner de leur intensité, de ne pas laisser ces images disparaître, ces passions tristes s’étendre dans un État préférant détourner le regard.

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