« J’ai envie d’imaginer sa ville », ainsi débute le récit de Nikolaï que le destin avait voué aux terres afghanes. Ainsi, s’ouvre la vie nouvelle de celui qui deviendra Ahmad au côté des moudjahidin.
Peu avant sa mort, Christophe de Ponfilly avait choisi de raconter l’un de ses reportages en Afghanistan en se focalisant sur le souvenir de ce soldat russe rencontré dans les montagnes du Panjshir. Nikolaï, jeune homme nourri de musique et roué de coups, comme ses parents, par la machine soviétique avait pourtant cru défaire le destin qui le liait à la guerre. Mille roubles auraient suffi pour le rayer des listes des appelés, mille roubles donnés à un colonel pour lui acheter une autre vie. Mais « l’armée fera de lui un homme », pense sa mère.
Alors, il ira … au milieu des « dingues », où des fous en liberté gèrent leur ennui, leur peur, en cognant sur des bleus, quand dans le meilleur des cas ils ne les assassinent pas. Le récit prend aux tripes, saisit par la brutalité, la bassesse humaine qui s’y jouent avec tous ces êtres inutiles qui tuent pour exister. A quel camp se vouer, sous quels feux se lover ? Les Russes tuent, violent. Les fondamentalistes saoudiens, iraniens, pakistanais sont venus eux aussi éventrer les chants des poètes afghans, mais avec des armes américaines.
Même si Christophe de Ponfilly dresse un constat de la réalité afghane, il la présente cette fois avec les yeux d’un jeune Russe auquel le lecteur s’identifie. Et c’est ainsi qu’on s’accroche à Nikolaï, seul repère dans ces « vallées de sang ». Et quand les moudjahidin l’écrasent sur le sol, on croit soudainement sentir la lame prête à lui couper les membres, « lui arracher sa peau de chien d’Infidèle », pour lui « faire payer tous les crimes commis chez eux ». Entraîné dans les montagnes, à travers les torrents, les chemins escarpés, on découvre avec Nikolaï ces résistants afghans que les Russes sont venus éliminer. Mais il faut attendre la rencontre autobiographique entre le reporter Christophe de Ponfilly et Nikolaï pour sentir à quel point le récit prend la forme d’un trajet initiatique.
Car au moment où le jeune russe lui offre une photo de lui, on comprend qu’une page de vie se tourne. Une figure plane sur le magnifique roman de Christophe de Ponfilly, celle d’un autre jeune homme, un architecte devenu stratège militaire en faisant de paysans des bataillons capables d’infliger des défaites cuisantes aux Soviétiques. Pourtant, ce n’est qu’au détour de la nuit que paraît Massoud sous les yeux étonnés de Nikolaï. Comment ne pas sentir dans sa présence fugitive, un ultime hommage à celui qui portait le sens du combat afghan ?
Laurent Monserrat
Lien pour voir des extraits du film de Christophe de Ponfilly
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