
Il est intéressant de voir la perception des enfants face aux élections qui occupent l’espace médiatique, des enfants confrontés à l’écoute quotidienne du totem télévisuel qui trône au centre même du salon. Les enfants s’énervent, reprennent le discours des parents sans comprendre et cherchent malgré tout à savoir ce qui relève du bien et du mal et qui, dans ces forces antagonistes, l’emportera lors de la bataille finale. La perception s’avère trouble et troublée par un espace médiatique qui aborde peu ou pas du tout, la vie des citoyens français. On entend des sujets généralistes, des affaires politiques, de la corruption devenue monnaie courante en France, et ce depuis des décennies et la vie des Français se réduit avec les candidats à la présidentielle à des échanges de bons mots qui n’ont aucune connexion avec le réel.
Alors, on peut chercher qui du tribun, de l’ex-banquier, de l’ex-assistant du président, du faussaire et parfait bonimenteur, de la fasciste l’emportera ou des oubliés, mais au final le manque de compréhension des enfants s’avèrera évident autant que celui du citoyen français tant le réel est éloigné, mis à distance alors que ce réel même est un symptôme vivant pour toute une partie de la société civile. Le monde qui va mal n’est pas extérieur à celui qui l’affronte, bien au contraire tant il constitue son quotidien dont les hommes politiques se défaussent pleinement.
Les déserts médicaux, les zones sans travail, les quartiers abandonnés à la violence, les campagnes désertées, les emplois harassants et le simple fait d’avoir ou de pouvoir conserver un toit constituent une prise avec le réel qui ne saurait être explicitée dans le totem télévisuel, tant les candidats ne proposent aucune solution. C’est probablement là que le drame se joue et l’incompréhension aussi infantile pourrait-elle paraître, prend de l’ampleur. Le réel ne fait pas vendre et chaque condition malheureuse se trouve enfermée dans un espace de silence médiatique. Alors, demander aux enfants de constituer un résumé substantiel de la politique française relève autant de l’aporie que si on l’exigeait d’un citoyen en âge de voter. Il n’existe en effet que des images traversées par des discours théoriques qui sont majoritairement déconnectés de tout réel hormis celui du fait divers. Alors « vote utile » ou vote fasciste ? La démocratie française se résume à ces deux voies aussi peu démocratiques, et la raison en est : le manque de circularité du pouvoir comme l’écrivait Foucault. La démocratie selon le philosophe devrait être une chaîne nouée entre les citoyens qui remonterait jusqu’aux plus hautes sphères de l’État afin que l’État même constitue un maillon de la démocratie représentative.
Si l’enfant ne comprend pas en quoi consiste la politique, c’est parce que la politique s’est éloignée du citoyen au point de n’être plus qu’une représentation illusoire voire illusionniste. En France, il n’existe aucun maillon, nulle chaîne populaire, celle-là même qui devrait démarrer dans les comités de quartier et se terminer au sein des cabinets ministériels !La figure présidentielle à laquelle la Ve République nous contraint à nous attacher achève la destruction de toute ambition de chaîne démocratique en tant qu’il ne s’agit plus que d’un transfuge du totem au prophète qui siège dans notre salon et édicte des prophéties prétendument salvatrices.

La compréhension de l’intérêt de la politique ne saurait exister sans un retour de la politique au plus près des citoyens. Et ce retour en passe par un contrôle général des institutions ce qui permettrait un contre-pouvoir et une lecture claire de l’action des élus. La France a besoin de se réinventer et d’assainir sa vie politique au risque de voir l’extrême droite convaincre les mentalités et persuader la population qu’elle est le seul rempart à cet entre-soi, à ces castes politiques qui se maintiennent au pouvoir depuis des décennies et ne rechignent ni aux mensonges ni aux tromperies et se complaisent dans la corruption. Et ce ne sont pas ces grands jeux télévisuels dont la célébration participe à la béatification du statut du Président de la République qui vont permettre de rapprocher la politique du peuple.
Il est impératif de rejeter ces catéchismes distants du vécu social et des citoyens français. Il est impératif de refuser de se voir édicter une organisation politique au nom d’une prétendue transcendance portée par un individu qui se sentirait investi d’une volonté divine en raison du grand show médiatique dans lequel il aura su mieux buzzer que les autres parce que les questions lui avaient été données à l’avance. La mise en scène médiatique et la capacité de l’acteur politique à se mettre lui-même en scène en présentant sa vie familiale, sa réussite, son expérience prétendue, sa roublardise et son enrichissement personnel, sont autant d’éléments qui foulent au pied la pensée démocratique, écrase le vécu social au profit d’un prophète exhibé dans l’écran totémique.
Il est impératif de refuser cette aliénation, fondée sur une transcendance qui décide de la vie du pays au profit d’affaires financières auxquelles la majorité de nos élus est liée par le pacte d’asservissement établi dans les fondements de la Ve République qui ne souffre ni la dynamique ni l’autonomie sociale ni aucun contre-pouvoir.
Foucault et le conflit démocratique : le gouvernement du commun contre le gouvernement néolibéral
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